مالك
حداد...باللغة الأصلية للمقال
كما نشر في 1994
وفي الصورة مكتبة مالك حداد ببيته كما تركها، ما تزال الكتب في مكانها، شكرا لجمال
علي خوجة.
Voila
le texte dans la version d'origine publié en 1994 dans le quotidien Le Libre.
La
photo : bibliothèque à la maison de Malek Haddad préservée par son neveu
Djamel Ali Khodja que nous saluons au passage.
Malek Haddad : L’alchimie des syllabes / l’art d’être écrivain
Malek
Haddad :
L’alchimie des syllabes / l’art d’être écrivain
« Si jamais il m’arrive de mourir un jour » –Emil Cioran- Oeuvres
Une ville exceptionnelle ; pas comme les autres. Un romancier pas comme les
autres non plus. Il disait qu’il ne pouvait jamais vivre loin d’elle, mais elle
brille aujourd’hui et se réveille sans lui, en son absence. Elle est dénudée de
toute pudeur cette ville. A-t-elle le choix ? Constantine et Malek Haddad. Deux
amoureux qui n’ont pas eu le temps de chanter les mérites du printemps, de
regrouper les rêves et d’articuler les mots de l’exil.
Dans un moment d’amour, de reconnaissance, de folie peut être, je décide
d’ouvrir une brèche sur la grande aventure en visitant la maison de Malek
Haddad en compagnie de son neveu Djamel Ali-Khodja, un homme de cœur et de
sagesse. Une demeure digne d’un écrivain de sa taille. Perchée sur les hauteurs
de la ville d’où elle peut mieux observer l’aube, accueillir les pensées et
cueillir les parfums rapportés par les essaims d’abeilles survolant les jardins
du quartier en se dirigeant vers Djebel El-Ouahch. Un lieu qui prend des
allures mystiques sur les lèvres de Malek et dans ses mots.
La maison. Un pavé ordinaire. Une porte, un couloir, une cuisine, des chambres,
une terrasse, des chats, des pigeons… Une symphonie de souvenirs qui peuplent
la matinée estivale.
Dommage il n’est pas là celui qui savait bien improviser une conversation avec
les pigeons et amadouer les chats qui le gênaient pendant ses moments d’écriture,
de vol mélodieux. Il avait le verbe facile, la narration, l’art de dire les
choses, de raconter les solitudes. C’était un homme franc par-dessus tout.
Qu’il est difficile et triste en même temps de parler de Malek au passé ! A
l’imparfait. Lui qui était parfait pour la poésie et l’alchimie des syllabes.
Le passé. Quelle grossièreté ! On est tenté de répéter ce qu’a dit une fois
William Faulkner : « le passé n’est jamais mort ; il n’est même pas passé. »
Au royaume de Malek, on a l’impression d’être dans un mausolée où l’on est
piégé par une ferveur pieuse et appelé à prier toute la journée, à parler aux
meubles, aux stylos, aux cahiers, aux livres, aux sourires, aux sanglots.
L’homme avait un amour fou pour l’écriture ; celle qui le hantait, l’aimait,
l’étranglait. Ecrire pour lui « c’est écouter et voir. Ses idées, il les trouve
dans la rue et chez les hommes » (Le quai aux fleurs ne répond plus, p.24).
« I can resist everything except temptation » disait Oscar Wild. Et la
tentation de rencontrer Malek me tourmente. Un scénario: Malek assis en face de
moi, souriant et espiègle. Un visage à la démarche furtive qui glisse sur les
blessures comme une silhouette et ne respire que dans l’écriture. Je pose ma
question : « mais, alors, pourquoi écrivez-vous ? ». D’un air sincère et
fragile il me répond : « c’est très simple, parce que je ne sais plus parler »
(p.38).
Il écrivait beaucoup. Son écriture est baignée de poésie, de musique, d’élan
sauvage et rythmé. « La poésie, ça vous dit quelque chose ? ». Avec un sourire
plein le visage, Malek rétorque : la poésie ! « Chaque feuille brûlée rappelle
la chaise qu’on avance sous la table, l’encrier qu’on repousse, l’idée qui se
refuse et qui vient, un effet qui plaisante avec vous, un stylo qu’il faut
remplir, une phrase qu’on rature, une page qu’on froisse, une habitude, une
joie, un nom, un prénom, le tiroir qu’on referme, les manuscrits qu’on classe,
la nuit, le jour, la poésie, bon Dieu ! La poésie » (p.32).
Entre lui et la poésie c’est toute une légende, une histoire d’amour qui vit
d’interrogations palpitantes et de splendeur authentique. Il ne peut rien
écrire avant de prendre sa dose de cette panacée qui lui permet le
dépouillement de sa mémoire, de lire quelques vers qui semblent le brancher sur
les ondes d’un autre monde. D’un univers où les choses semblent se faire
autrement. Où les mots prennent une allure irréparable. Où la transparence des
rêves devient blessante. Où la pureté cesse d’être aspiration. Car elle est.
Il a ses habitudes à lui. Il écrit tout le temps. L’écriture pour lui ressemble
à une prière. Il attend patiemment que tout le monde aille se coucher afin de
lui laisser le chemin de sa galaxie ouvert devant ses chevaux rétifs. Il
prépare des plats bien épicés. Bien poivrés. Il arrose le jardin, chasse les
chats, met sa gandoura, une musique douce et le rêve peut commencer.
Il écrit. Débute un roman, mais avant d’aller plus loin dans la conception, la
trame, l’architecture, la structure du texte, il commence par composer des
poèmes. Rien que des poèmes. Quelques moments après, il froisse les feuilles,
les jette par terre comme pour se débarrasser d’un lourd fardeau et se remet à
écrire. Sur un cahier d’écolier, comme sur une barque, et sans ratures, il
plonge au cœur du voyage dans le monde des petites créatures, consonnes et
syllabes. Les mots viennent après. Il possède la finesse de les placer là où il
faut, et la grâce de leur donner une musique propre. Celle, capable, de leur
donner la vie éternelle.
Le matin venu, l’homme se réveille comme pour la première fois. Tel un prophète
qui sort d’une aventure dans des terres lointaines, il commence à lire à sa
mère des extraits de ce qu’il écrit. Il adore sa mère. Elle s’appelle « Hamama
». Oui, belle comme une colombe. Fraîche. Sincère. « J’ai toujours écrit pour
mériter ma mère » confirme Malek. « Ma mère c’est tout un poème. Elle est une
légende ».
Quand sa mère meurt le 31 octobre 1976, il débarque d’Alger à minuit et avec un
air triste et abattu, il déclare à son neveu : « je sens que j’ai tout perdu et
j’ignore si j’ai la force de vivre après ça ». Ses intuitions ne le trahissent
jamais. Malheureusement.
A l’instar de sa mère, Constantine, sa ville, lui tient beaucoup à cœur. Il
l’aime comme on vénère une déesse capable d’offrir la vie. Il l’adore, à
l’image des mages qui se prosternent devant le reflet d’une image mystique,
insondable. Elle lui offre les moments les plus chaleureux de son existence et
s'offre à lui dans toute sa grandeur, sa splendeur et sa beauté.
Quand il revient d'un long voyage, il se presse, et sans déplier les bagages, à
visiter les quartiers populaires : Sidi Djellis, Rahbet Es-Souf, Souika. .. Il
sait bien que la Médina est un remède qui le débarrasse des angoisses et autres
chagrins.
Cette ville est très généreuse. Elle pousse le poète à reconnaître que « le
soleil n'est beau, n'est valeureux qu'à Constantine » (p.75).
La place du père, Slimane, est très importante dans la vie de Malek. En sa
qualité de père exemplaire et d’instituteur, il lui enseigne les principes du
devoir, de la famille, du travail, de l'amitié. Il lui apprend aussi que la
France n'est pas la patrie. Que des hommes sont en train de combattre pour la
liberté de leurs rêves. Qu’une nouvelle société algérienne est à construire.
Elle aura besoin de tous ses enfants. Message capté à merveille par Malek qui
peut voir les dichotomies flagrantes entre les hommes qui peuplent l’Algérie
colonisée. Début d’une naissance. Quête d’une patrie qui ne peut vivre,
s’épanouir qu’à l’intérieur de l’âme.
En 1947, Malek a 20 ans. Il milite au PPA et ne se prive jamais d'aimer lbn
Badis, d’annoncer sa sympathie pour lui et de porter son portrait entre les
bras du centre-ville jusqu'au Faubourg Lamy (actuellement Emir Abdelkader) tout
en passant par les quartiers des Français. Regards indiscrets. Son père le
réprimande car il a peur pour lui.
Malek aime l'Algérie profondément. Ses romans et recueils de poésie n'ont pour
essence que la guerre, l'engagement, l'exil, la responsabilité de l'homme,
l'amour, la mort et Dieu. Le colonialisme a tout fait pour éloigner et priver
les Algériens de la langue arabe, de l'Islam et de leur patrie. Malek leur
répond en disant : « la patrie c'est l'Algérie et sans l'Islam nous sommes rien
».
La vie de cet homme est une fenêtre qui donne sur une prairie de plaisirs, de
couleurs et d'aventures.
De l'école primaire il part au lycée d'Aumale (l'actuel lycée Redha Houhou) où
il est introduit aux écrits du philosophe Henri Bergson dont les écrits lui
aiguisent l’intelligence et raffinent les sensibilités littéraires. Après le
succès au baccalauréat (section philo lettres), il part au Tassili en qualité
d'instituteur pour une durée de deux ans – les traces du père reviennent par la
grande surprise. Le grand désert le fascine, le hante, le désarme. Il se trouve
face à une gigantesque création divine qui n'arrête jamais de murmurer la
grandeur du ciel et la beauté des dunes. Emerveillé, il s’exclame : « j'ai
toujours à l'esprit cet énorme miracle, la musique du sable, la suprématie du
ciel, la nuit que rien n'arrête, le silence tangible du désert ».
Tellement déduit et charmé par le désert, Malek revient du Rath avec un roman
dans la poche et dans le cœur. Pas n'importe quel roman : 'Je t'offrirai une
gazelle"(1959). Il le dédie à son neveu Djamel et l'offre à tous les
amoureux de l’écriture, cette tache noble, sublime.
Après deux mariages ratés et le service militaire, c'est les portes de l'exil
qui s'ouvrent devant Malek Haddad. « Couvre-toi bien, il fait froid dans l'exil
» (p.31) lui dit celle qui l’aime par-dessus tout. Il prend avec lui un cahier
d'écolier, quelques stylos et beaucoup de rêves. Il débarque à Paris : le temps
d'une solitude.
L'écriture pour Malek devient une sorte de participation à un combat ou une
solidarité humaine. Elle lui permet de vivre et d'exorciser son angoisse des
matins gris, des jours de l'exil, de perte d'amis dans la guerre. Ô! Combien
est difficile de supporter le mouvement d'une pendule qui annonce la chute, la
régression, le malheur.
Malek Haddad sourit, une cigarette entre les lèvres : vous voulez vraiment le
savoir ? « L'exil. C'est une mauvaise habitude à prendre. L'exil, c'est, par
exemple, la rue Madame, la lumière qui s'éteint, la longévité de la nuit. La
tristesse blafarde des hôtels. .. Le bruit de la clé sur le triangle de cuivre
doré. Au numéro d’une chambre d'hôtel, l'exil se rétrécit aux dimensions d’un
pauvre chiffre... » (p. 16).
Même en exil, il a toujours le culte de l'amitié, culte qui occupe les
profondeurs de son roman «le quai aux fleurs ne répond plus ». Pour dire que
les écrits de Malek sont le reflet de son histoire. De l'Histoire tout court.
Ses personnages sont réels: Simon Guedj et Roland Doukhan ses amis, Ourida
n'est autre que sa bien aimée. Ourida, celle qu'il aime par-dessus tous les
impossibles. A la fin du roman, de la vie réelle cette fois-ci, elle le trahit.
Dans un geste d'amour et de métamorphose, la femme devient une patrie et
l'amoureux une guerre.
Noble écriture prémonitoire.
Quand Ourida se marie, Malek continue à l'aimer malgré tout et lui écrit les
plus jolis textes et poèmes. « C'est encore Ourida au bout d'un matin clair,
très loin vers la montagne qui s'appelle Ourida, quand les noix vertes tombent
au vent d'automne et qu'une fumée sur le toit est une histoire d'amour... mon
univers est simple : il y a Ourida. Le reste importe peu. Il n'y a pas de
reste. Elle est tout. » (Extrait d'un roman inachevé intitulé Ourida).
Cette femme devient un texte à lire, à admirer, à déchiffrer. Malek le sait
bien et le fait bien d'ailleurs. 'Poésie, tout n'est que poésie dans la femme
et tant pis pour les analphabètes (p.12).
Malek Haddad a quatre romans célèbres : La dernière impression' (1958), 'Je
t'offrirai une gazelle' (1959). 'L'élève et la leçon' (1960), 'Le quai aux
fleurs ne répond plus' (1961), plus un nombre de recueils de poésie et un tas
de cahiers d'écoliers qui cachent des trésors de la littérature algérienne
sublime et distinguée.
Après le retour à la terre natale et la fin de l'exil, Malek se trouve face au
chômage et au despotisme politique. Ce poème en est la meilleure preuve « ombre
du col relevé » :
J'ai seize ans quand il pleut
La ville a peur des étrangers
Elle aime bien ses habitudes
Je marche
Je traîne
J'ai ma lettre à chanter
Je suis un continent qui rêve à la dérive...
Ourida préfère l'exil et Malek se marie une fois de plus. Il a l'air d'avoir
tout perdu. Après la mort de ses parents il se retrouve seul face à un monde de
trahison, de platitude, de faiblesse, d'hypocrisie et surtout d'amertume. Le
temps des rêves est révolu et il faut se vouer à une réalité qui a le cœur dur
et les sentiments en acier.
Malek est un grand fumeur qui prend beaucoup de thé. C'est un homme de la nuit.
Une créature nocturne qui déteste le sommeil. Il nous fait savoir que
l'écriture est une souffrance avant d'être une délivrance. Il écrit en
gémissant et ne cherche pas la pitié en crachant du sang. En crachant les
bribes amères de cette société de déchéance qui lui reste à travers la gorge.
N'a-t-il pas dit : « Pour l'instant, j'habite dans mes livres. Et croyez-moi...
Je paie très cher mon loyer, très cher » (p.95-96).
Chaque roman de Malek est un accouchement littéraire, beau et cruel à la fois.
Preuve que la création est merveilleuse mais très douloureuse. On n’entre pas
dans la légende les mains vides de tout sacrifice.
Malek Haddad est malade, très malade. Il a mal au dos, la radio décèle un
cancer de poumon. Dr Caste du roman «L'élève et la leçon» n'est-il pas mort
d'un cancer ? Prémonition poussée à ses extrêmes.
Malek est mort le 2 juin 1978.
Rêve d'un cœur blessé, d'un être mort depuis longtemps déjà, Ourida la femme,
la plaie, les incertitudes. Le premier coup de téléphone de condoléances est
celui d’Ourida. A-t-elle pleuré? Le géant est parti, avec lui, tous ses
symboles. Tous ses symboles sont clairs et simples :
Ses mots-testament sont limpides et modestes. Son souhait, dormir sous une
plaque au cimetière à Djebel El-Ouahch sous une plaque : Ici SE Repose Malek
Haddad.
Il s'en va en douceur et nous laisse un poème qui restera un écho éternel :
Je n’ai que des chansons
Pour celui qu’on enchaîne
Pour la main qu’on refuse
Pour le jour qu’on accuse
Je n’ai que des chansons
Pour les blés qu’on piétine
Pour la nuit qu’on malmène
Pour la colombe en deuil
Sur l’olivier brûlé
Mais je sais qu’un refrain
Ça peut faire du bien
Donne-moi ta main
Viens…
Avant de quitter la maison de Malek Haddad, sa sœur Louisa –que Dieu ait son
âme- nous réserve, moi et mon ami Salim Boufendassa, le plus beau cadeau au monde
: manger avec elle le « bouzellouf » (tête du mouton grillée). Chance ou
coïncidence. « Le plat préféré de Malek» me dit-elle.
Abdecelem Ikhlef
